ÉPILOGUE : SUNGURALINGU

Le sable était humide et dur sous les sabots des faras. L’eau salée allait et venait en sifflant devant la file lasse et silencieuse de cavaliers, brun sale et verte, bordée d’écume et d’un bleu vert brillant là où elle rencontrait le ciel d’un vert plus pâle. L’odeur de poissons morts, d’algues et de sel était lourde dans le vent vif qui fouettait les visages et les vêtements.

— Quelle direction ? demanda Manoreh.

Faiseh haussa les épaules.

— Ça n’a pas grande importance. Il nous faut trouver une hutte de pêcheur et amener l’homme à nous transporter jusqu’aux îles dans son bateau. (Sa main désigna la ligne d’horizon.) Elles sont là-bas, trop loin du rivage pour qu’on puisse les apercevoir.

Manoreh poussa son faras contre celui de Kitosime.

— Kita, fit-il en posant la main sur son bras.

Elle était fatiguée, mais pas suffisamment pour ne pas se réjouir de la chaleur qui les réunissait.

— Qu’y a-t-il ?

— Dis-nous où aller. Au sud ou au nord ?

Elle toucha les œillettes dans sa bourse. Au bout d’un instant, elle hocha la tête.

— Aide-moi à descendre de cette créature. Si j’essayais de le faire toute seule, je me casserais le cou.

Après un petit rire, il la prit par la taille et la souleva du faras. Lentement, presque à contrecœur, il la déposa sur le sable. Puis il se glissa de sa propre monture et se tint à côté d’elle.

— De quoi as-tu besoin ?

— D’eau fraîche et d’un peu de temps.

Elle s’éloigna des enfants et s’assit sur le sable. Elle fit passer la cordelette de la bourse par-dessus sa tête, prit les pierres et les plaça sur le sable devant ses genoux. Manoreh lui apporta l’une des outres flasques et fit tomber quelques gouttes sur les pierres gris pâle, emplissant de ténèbres les orbites. Elle ferma les yeux et sentit le bourdonnement de pouvoir se mêler à la douce caresse de la mer.

Des éclairs de lumière, de petites étincelles de feu qui filaient… Le visage d’un garçon… brillant dans les ténèbres… le garçon du Tembeat… celui qui l’avait introduite furtivement dans la nuit… la nuit qui avait commencé le long voyage qu’elle avait fait de l’état de poupée à celui de femme… il regardait les flammes et se lamentait… il conduisit les garçons par-dessus un mur… il prit un bateau… embarqua les garçons dessus… descendit un fleuve… un large fleuve brillant… atteignit la côte… vit l’étendue déserte de la mer qui s’étirait jusqu’à la ligne d’horizon… et il eut peur… il fit suivre la côte au bateau… s’arrêta à toutes les huttes… en vain… les huttes étaient vides… et trois hommes sortirent alors d’une hutte et virent le bateau… ils le virent et le désirèrent… et tombèrent sur les enfants pour le leur prendre… cela se passe en ce moment… juste en ce moment… les garçons se battent… ils luttent… en ce moment… ils repoussent les hommes… mais à quel prix… trois d’entre eux sont déjà morts…

Elle gémit et rouvrit les yeux en cessant son léger marmonnement. Manoreh et Faiseh étaient penchés tout près d’elle et l’écoutaient avec attention.

Manoreh se leva d’un bond.

— Umeme !

Faiseh lui toucha le bras.

— Vers où, Kitosime ? Dans quelle direction ?

Elle désigna le nord.

— Là, fit-elle. Là où les falaises se rapprochent de la mer comme un doigt pointé dans l’eau. De l’autre côté de ça.

Faiseh se dressa à côté de Manoreh. Ils échangèrent un regard. Puis Manoreh tendit la main à Kitosime. Elle rassembla ses œillettes, les remit dans la bourse et le laissa la relever.

— Kita, dit-il. Attends quelques minutes que nous soyons partis, puis sois nous avec les enfants. Ça ira ?

— Suis-je une poupée ?

— Non, pas du tout !

Il la serra rapidement contre lui, puis courut jusqu’à son faras. Au bout de quelques instants, lui et Faiseh se trouvaient à mi-chemin de l’avancée des falaises.

Kitosime rejoignit lentement son faras, s’arrêta et considéra la file d’enfants. Ils étaient trop fatigués pour être curieux, ils étaient aussi passifs que leurs faras, attendant que quelqu’un leur dise que faire. Elle soupira. Ils avaient besoin de s’arrêter pour se reposer. Elle posa la main sur la selle de son faras.

— Non, marmonna-t-elle. Je préfère marcher. (Elle prit le licou de son faras et se tourna vers les enfants.) Suivez-moi, dit-elle vivement.

Elle fit volte-face et s’éloigna lourdement en regardant par-dessus son épaule à intervalles réguliers pour s’assurer que les enfants la suivaient bien.

Lorsqu’ils atteignirent la hutte, la bataille était terminée. Les corps des attaquants étaient empilés comme du bois de chauffe contre le mur et les garçons tournaient avec excitation autour des Eclaireurs, parlant tous à la fois.

Elle sourit et commença à aider les enfants à descendre de leurs montures. Ils titubèrent sur quelques pas et s’écroulèrent sur le sable, se lovèrent et s’endormirent. Seuls les plus âgés restèrent debout et la suivirent sur l’embarcadère. Elle toucha le bras de Manoreh.

— Est-ce fini ? Sommes-nous chez nous ?

Il regarda la mer. Avec une satisfaction tranquille, il répondit :

— Une heure de navigation et nous pourrons nous arrêter. (Il la prit dans le creux de son bras.) Nous pourrons nous arrêter pour rebâtir.